«Ce monstre ne mérite pas de procès, pendez-le qu’on en finisse ! », quelqu’un invectiva du milieu de la foule en colère.
«Pourquoi laissent-ils entrer autant de monde dans leurs tribunaux ? », se demandait-il. Il était reconnaissant cependant, c’était exactement ce qu’il lui fallait. Il se tourna vers le juge, ignorant délibérément le jury. Il savait que la plupart des bleusailles essayent désespérément d’avoir, pour leurs clients, la sympathie, ou même la pitié du jury. Mais en justice comme en amour, il faut séduire son partenaire et non pas lui inspirer de la pitié. Ainsi, il les ignora, se concentrant uniquement sur le juge et la foule, s’attardant sur le jury juste assez pour ne pas paraître antipathique. Un pion avait bougé. Il observa un instant le juge puis son client, il le regarda avec dégout.
C’était effectivement un monstre sans âme, les abominables crimes commis l’avaient déshumanisé. Il contempla ses yeux de veaux affolés, ses lèvres pincées en une mince ligne blême, ses joues creuses et sans vie. Il imagina toutes ses victimes. C’était ce visage qu’elles avaient vu durant leur dernier sursaut de vie, c’était ses yeux bovins dans lesquels elles avaient dû chercher une parcelle de miséricorde. Il songea au sentiment que l’on devait ressentir quand on était certain que ce visage-là serait le dernier que l’on admirerait. Il arrêta le cheminement de ses pensées, ce n’était pas bon de réfléchir aux méfaits de la défense. Il était là pour gagner du temps, ainsi il changea de tactique, on lui avait fourni un très bon argument.
Il contempla la foule un instant, lui tourna le dos pour faire face au juge et s’exprima :
«Mesdames et messieurs les jurés, maître, la défense souhaite plaider coupable.»
Un tonnerre de murmures s’éleva dans les rangs du tribunal, le client confus tourna un regard effrayé vers son avocat, ils se demandaient tous s’il avait perdu la tête. Le juge rétablit l’ordre de quelques coups de marteau.
«Silence dans la salle, s’il vous plait. La défense est-elle sûre de son choix ? », demanda-t’il perplexe.
– Un choix ? Quel choix y a-t-il ici, monsieur le juge ? Quelle est cette justice que demande le peuple ? Ne voyez-vous donc pas que mon client est déjà mort ? La presse a étalé cette affaire dans tous les journaux de New-York. Pensez-vous que les grand pontes du NY Herald et du Times débattent de justice et se recueillent en pensant aux victimes, pensez-vous qu’ils publient ces nouvelles emplies de jugement de valeurs, alors que la seule qu’ils connaissent s’appelle ‘profit’, par devoir de dénoncer crimes et méfaits ?
Bien entendu, la presse, les nouvelles, l’information, ce sont des emblèmes capitaux de notre pays, et je ne nie pas que chacun a le droit de savoir ce qu’il se passe alentours. Mais on ne donne à ces gens qu’une version, celle du pathos, celle qui fait vendre, cette version donnée pour qu’on finisse outré et en colère. Voyez, s’écria t-il, regardez donc autour de vous, cette masse et cette ire qui se mélangent contre un seul homme, si l’on laissait faire il serait lynché jusqu’à ce que mort s’en suit. Est-ce donc cela que vous appelez justice ?
– Objection votre honneur, la défense sort du sujet.
– Recentrez votre propos, Mr Callahan, dit simplement le juge, curieux.
– Mon propos, messieurs, mesdames, c’est que, certes, mon client ici présent a commis des actes monstrueux, mais ce n’est pas un monstre. Les monstres sont bons pour les enfants ou pour les placards. Ce que nous avons ici, c’est un homme qui a commis des actes irréparables. Mais demandez-vous ce qui peut pousser un homme à poursuivre années après années ces ignominies. La réponse vient d’elle-même… la folie. Une maladie mentale, sous les traits d’une obsession macabre et sanguinaire. Les tueries ritualisées, les dates ancrées dans une enfance traumatisante, le manque de soin… le tabou. Si vous ressentiez ces pulsions violentes, lancinantes, horrifiques, en parleriez-vous ? Observeriez-vous le mépris dans le regard de vos voisins, la peur dans les yeux de vos collègue, la honte de votre famille grandir ? Et sans aide, tiendriez-vous aussi longtemps que mon client, Daniel Erikson, qui a avoué ressentir ces besoins depuis son adolescence et qui a tenu onze années sans soutien, sans aide, avant de ne plus en pouvoir et de se laisser aller. Il n’y pas de coupable ici, seulement des victimes d’une terrible maladie. Réfléchissez à ça.»
Il retourna s’asseoir à côté de son client, et jaugea la foule et sa réaction. Les autres avocats semblaient particulièrement agacés, et la masse était pensive et bavarde. Il avait réussi à faire son petit effet, le cas était perdu d’avance, mais le but n’était pas de gagner, mais de perdre le moins possible.